GOUINE, un court métrage documentaire sensible à découvrir
En 2002, j’ai 15 ans. Dans ma chambre, allongée sur le lit, une amie me regarde, elle me demande de l’embrasser. Je refuse, puis, je le fais.
Puis, mon amie s’en va et que je me retrouve seule dans ma chambre à avoir envie de vomir.
Je n’en dors pas de la nuit.
Après ce 1er baiser, j’ai passé le reste de mon adolescence à me cacher et à mentir.
Aujourd’hui, 20 ans plus tard, je suis encore marquée par cette période où j’ai appris que pour aimer je devrais me
cacher et que lorsqu’on souffre on se tait.
Et, depuis, même si j’ai ouvert progressivement les portes de ce fameux placard, je ne me défais pas de ces
automatismes. Plus j’avance, plus ils sont forts et ancrés, et plus il est dur de les changer.
Alors, quand la femme avec laquelle je vis depuis 10 ans me demande un enfant, rien en moi ne me permet de
l’envisager. Car je vis libre mais masquée. Je suis une lesbienne invisible et je tiendrais à le rester.
Dès lors, pour réussir à affronter cette période et envisager un enfant, je décide de réaliser un film.
Pour cela, je rouvre mes carnets de secrets, où j’ai écrit toutes mes pensées, presque chaque jour depuis mon plus
jeune âge. Je découvre des paroles dures, oubliées, écrites de ma main.
Mes mots disent comment je me suis enfermée, comment j’ai construit les bases de l’amour sur le mensonge,
comment aimer une femme au lycée en 2002 était absolument impossible.
Comment je me convainquais à coup de notes sur ce carnet que non je ne pouvais pas être « gouine ».
A cette époque, l’homosexualité n’existait pas dans les cours de récré, n’existait pas à la télé. J’étais seule avec mes questions et mon carnet me donnait les réponses.
En me replongeant dans mes tracas oubliés, je comprends celle que je suis aujourd’hui.
Celle qui ne veut pas d’enfant pour ne pas être vue.
Celle qui a peur du jugement.
Celle qui veut rester deux amies qui boivent un coup en terrasse.
Le regard des autres, le coming out. Je ne veux pas avoir à le redire.
Mais, avoir un enfant, c’est le dire, même sans mot, chaque jour.
Etre vue, mise à nue, devenir la proie de tous ceux qui nous haïssent et qui jamais ne m’avaient vue.
Aussi, presque instinctivement je me tourne vers ce carnet de secrets, pour le déconstruire.
Et, je décide de confronter mes pensées d’adolescente de 15 ans à celles des jeunes de 15-17 ans en 2022. J’ai besoin de comprendre comment cela est perçu de nos jours.
Le regard des autres a-t-il changé ? Le poids de la Société est-il toujours aussi important dans la construction de
son identité ? Les avancées dans les lois ont- elles permis un changement d’état d’esprit ?
Je veux confronter nos regards, nos générations, à 20 ans d’écart.
LES COULISSES DU TOURNAGE
J’ai voulu un dispositif de mise en scène simple, épuré. Une petite équipe, le chef opérateur (Sandro Lucerna) et moi, pour un plateau intime. Un dispositif qui permette aux ados de se livrer : Un fond noir, une lumière tamisée, une caméra.
Il était primordial que les jeunes filles ressentent l’intimité.
Cette mise en scène permettra aussi au spectateur d’avoir la sensation d’accéder à la vérité nue. Aucune image extérieure ajoutée.
Les jeunes filles ont pris connaissance face caméra du carnet pour la 1ère fois. Elles ignoraient le sujet et pensaientqu’une tierce personne me l’avait confié. Il était important qu’elles ne sachent pas qu’il s’agissait de mon carnet, cela aurait pu altérer leurs réactions.
Par ailleurs, j’ai tenu à ce que le carnet soit filmé, en tant qu’objet. Je souhaitais que le spectateur puisse voir l’écriture d’une ado. La calligraphie très enfantine crée un paradoxe avec la puissance des réflexions de la jeune fille sur ses amours et la construction de son identité. J’ai donc fait réécrire le carnet à une adolescente de 16 ans pour changer les noms des personnes impliquées et notamment le mien.
J’ai choisi mon 2ème prénom : Zöé.
La jeune fille qui a copié mon carnet avait pour consigne de bien laisser les fautes d’orthographe.
Le carnet est ainsi identique au mien, mot pour mot.
J’ai demandé aux jeunes filles de venir habillées comme elles le font en général, pas de code imposé, pas de maquillage. On distingue ainsi nettement l’adolescence et les différentes personnalités.
Pour réaliser ce film et faire participer des adolescents, j’ai présenté mon projet dans plusieurs classes de deux lycées aux milieux sociaux opposés. Le premier lycée est implanté dans une zone aisée de Grenoble, le second dans un quartier très populaire (Echirolles).
Sur la base du volontariat, une quinzaine de jeunes filles décident de participer à mon documentaire. Elles ignorent que le carnet m’appartient.
Que des filles ? Un pur hasard.
Je pense que les adolescents ne se sont pas identifiés dans le concept de carnet de secrets. Peu de diversité au final aussi malheureusement. Je crois que la contrainte de l’accord des deux parents a bloqué certains adolescents des quartiers populaires…
Je ne regrette pas finalement, car ces jeunes filles sont exactement la jeune fille que j’étais, même milieu. Cela renforce l’identification et leurs réactions sont justement comparables aux miennes car nous partageons les mêmes caractéristiques de vie.
SÉLECTIONS EN FESTIVAL
- Festival International de Films de Femmes (Creteil)
- Festival coté court (la Seyne sur mer)
- Vues d’en face (Grenoble)
- Pink screen (Bruxelles)
- Des images aux mots (Toulouse)
Pour contacter la réalisatrice, RDV sur notre page contact.